Extrait : « Sur le canal du Midi »

Reportage Zack numéro spécial Vacances(Copyrights texte et photos chez l’auteur)

photo du canal du MidiOn trouve tout en se promenant le long du Canal du Midi :des gamins en patins à roulette… euh, pardon… en rollers, des cyclistes, des enfants qui promènent leurs grands-parents, et même des bateaux !

Monsieur d´Aguessau agita doucement ses gants blancs dans le vent.- Que l´on ouvre les vannes ! ordonna-t-il gravement.Messieurs Mourgues et de la Feuille hochèrent la tête. Le grand jour était arrivé.- A la grâce de Dieu et de Louis XIV notre Roy ! L´ouvrier, tout de propre vêtu pour ce grand jour, ouvrit lentement une vanne. L´eau s´échappa du lac de Saint Féréol et dévala une petite rivière sur les contreforts des Montagnes Noires (vers Carcassonne) pour s´écouler paisiblement, 20 km plus bas, dans le canal qui relirait bientôt Toulouse à la Méditerranée. photo d'une péniche sur le canal du MidiDommage que l´ingénieur qui en avait réalisé les plans, Monsieur Pierre Paul de Riquet, ne soit pas là pour voir ça ! La vieillesse l´avait emporté un an auparavant, en 1681.Ce canal, Riquet avait voulu le creuser, il avait même payé une partie des travaux, pour que les péniches puissent transporter les matériaux de construction, le bois, le charbon, le vin et les céréales, de Bordeaux jusqu´à Sète, au bord de la Méditerranée. Elles remonteraient la Garonne jusqu´à Toulouse, puis franchiraient les 63 écluses de son canal, évitant ainsi de faire le grand tour par le détroit de Gibraltar, entre l´Espagne et l´Afrique du Nord.Il avait fallu pas moins de 12 000 hommes et 14 ans pour creuser ce canal long de 240 km. Et bien un an pour le remplir et faire les derniers travaux. C´est ainsi qu´en 1682 la première péniche, tirée par de robustes chevaux, se glissa silencieusement entre les berges de ce fameux canal, appelé le Canal du Midi.

Bien des années ont passé depuis, et beaucoup d´eau a coulé sous les ponts du canal. Le Canal du Midi existe toujours, mais qu´est-il donc devenu ? Ses écluses sont trop petites pour les péniches modernes. Les camions de marchandises dévalent maintenant en polluant l´autoroute A 61… qui suit le canal. Je suis allé mener ma petit enquête… histoire de prendre des vacances.

Il fait pas loin de 30° C, ce jour-là, et, à l´ombre de l´un des 45 000 platanes plantés sur les berges du canal, je discute tranquillement avec la jeune gardienne de l´écluse de Gardouch, près de Villefranche de Lauragais.- Des péniches, me dit-elle, il n´y en a plus depuis bien longtemps. Enfin, des vraies. Celles qui circulent maintenant transportent des touristes. Autrement, on ne voit plus que des bateaux de plaisance.Son talkie-Walkie grésille. Son collègue, qui s´occupe d´une écluse voisine, lui annonce l´arrivée d´un petit voilier avec trois personnes à bord.Quelques très longues minutes plus tard, on circule à 6 km/h sur le canal, le voilier arrive, le mât couché à cause des arbres et des ponts. photo d'une péniche sur le canal du MidiUn vrai breton déguisé en faux marin d´eau douce, la casquette enfoncée sur le crâne, manoeuvre le petit bateau avec le moteur. Ses passagères nous jettent les amarres et nous les faisons passées sur les bittes d´amarrages du quai. A grands moulinets de manivelle, la gardienne de l´écluse ferme les portes derrière le bateau. J´en profite pour poser quelques questions au « capitaine ». Il est tout petit sur son bateau tout en bas du quai : il venait de l´aval, là où le niveau d´eau est plus bas, et il n´y a presque pas d´eau dans l´écluse.- Vous venez de loin ?- De Concarneau, en Bretagne. On a longé la côte jusqu´à la Gironde, puis on a remonté la Garonne jusqu´à Toulouse, et maintenant on prend le canal jusqu´à la Méditerranée. Le tout prendra une petite quinzaine de jours.

On ne prend pas le canal pour aller vite, mais pour se laisser vivre au fil de l´eau. La jeune femme, toujours armée de sa manivelle, ouvre les vannes de l´autre porte, en amont, pour faire monter le niveau d´eau dans le sas. Je discute de choses et d´autres avec les passagers pendant que le bateau monte. Le capitaine me raconte les longues soirées à écouter chanter les merles dans les platanes.

– Pas de bruit, pas de voiture. La paix, dit-il. On discute aux écluses, on s´amarre aux berges pour manger, on dort au calme : le rêve, quoi.

L´eau monte toujours et finalement c´est moi qui, du haut de mes 1m68, lève les yeux pour parler au capitaine : pas si petit que ça le breton ! Manivelle, on ouvre les portes. Moteur en route. Le bateau repart, en théorie à 6 km/h. Le capitaine a oublié ses lunettes de soleil sur le quai, et j´ai beau courir, impossible de rattraper le bateau qui s´éloigne : excès de vitesse, mon capitaine. Tant pis, je garde les lunettes, ça lui apprendra.

Je regarde rêveusement le chemin de halage. C´est le chemin sur lequel les chevaux tiraient autrefois les péniches de leur pas lent et lourd. A quoi servent-ils donc, maintenant qu´il n´y a plus de péniches à tirer ? La réponse arrive bientôt, sous la forme de trois gamins en patins à roulettes.- Attention, me crie l´un d´eux en tournant autour de moi à toute vitesse. C´est dangereux de dormir au milieu de la piste.- De la piste ?- Ben ouais ! Y´a pas de voitures, c´estphoto promeneurs en rollers sur le canal du Midi le pied… pour nous.Mais ma parole, il se moque de moi, le gamin. Il me prend pour un vieux parce que je me promène à pied, ou quoi ? Je lui fais une petite remarque technique histoire de lui montrer que je suis dans le coup.- C´est pas bête de faire du patin à roulettes là-dessus. Tu peux aller jusqu´à la mer comme ça.Les gamins me regardent en riant. Ben quoi, qu´est-ce que j´ai dit, encore ?

– On fait pas du patin à roulette, on fait du roller ! Les patins à roulettes, c´est des trucs de vieux !

Raté, j´ai encore perdu une occasion de me taire. Les gamins s´élancent en trombe. A ce tarif-là, ils vont bientôt rattraper le capitaine sur son voilier. Je me cours derrière eux en criant :

– Attendez ! Vous pourriez rendre ses lunettes à un…

Trop tard, disparus dans un virage. C´est pas mon jour et je suis essoufflé. Je n´ai pas même le temps de reprendre mon souffle qu´une horde de vélos arrive à toute vitesse. Je les arrête pour savoir d´où ils viennent.

– Nous venons de Sète et nous allons à Toulouse, me répond l´un d´eux.

Et ils se lancent dans de grandes explications desquelles il ressort que le chemin n´est pas goudronné sur les 2/3 du trajet et que c´est assez sportif. Il n´y a pas de camping le long du canal, ils ont couché dehors, roulés en boule au pied d´un platane. Le plus âgé d´entre eux me montrent en riant sa canne à pêche téléscopique :

– Une brème sur un feu de bois, ça vaut bien un quatre étoiles, dit-il en riant.

Sur ces bons mots, l´équipée sauvage reprend sa route. Courant à grandes enjambées, les coudes au corps, la respiration bien rythmée, un coureur à pieds – pardon, un jogger – court derrière eux dans son beau tricot fluo. Celui-là, je ne l´arrête pas. On en voit de partout des « qui courent comme ça », pour aller de nulle part à n´importe où.

Il serait drôlement surpris, le père Riquet, s´il voyait son canal maintenant. Il est toujours aussi beau et romantique. On y croise des amoureux, des grands-parents avec leurs petits-enfants, des chiens qui promènent leur maître. Serait-il triste ou content, Monsieur Riquet, de voir qu´on y travaille plus sur le canal (sauf quand on est gardienne d´écluse !), mais qu´on s´y amuse et s´y promène ? Moi, je m´y serais bien vu regarder passer les péniches de marchandises, comme les vaches regardent passer les trains, en ne pensant à rien. Et puis il y aurait moins de bruit, tout près, sur l´autoroute.

Pourtant, arrivé à ma voiture, je chausse les lunettes de soleil du « capitaine », et, d´un seul coup, je vois la vie en rose.

– L´an prochain, je loue un bateau pour me « faire » le Canal, me promets-je.