Meurtre sous le signe du Zen, belle critique sur le site de l’Express

Meurtre sous le signe du zen

Site de l’Express, le 31 octobre 2014

Meurtre sous le signe du zen, Oliver Bottini, Ed. de l’Aube, 2014 (traduit de l’allemand par Didier Debord)

Louise Boni est commissaire à la police criminelle de Fribourg et elle va mal. Cet hiver-là, il neige, météo qu’elle n’aime plus depuis que son frère est mort en voiture à cause de la neige, que son mari l’a quittée un jour de neige et qu’elle a tué un homme violeur et assassin dans la neige. Louise est alcoolique, n’est pas encore sur la touche mais ça ne devrait pas tarder. Lorsque son chef l’appelle parce qu’un moine bouddhiste se promène moitié nu dans la montagne et que personne ne peut l’approcher, Louise y va à contre cœur. Elle approchera Taro, le moine mais ne parviendra pas à le faire revenir. Elle charge deux collègues de le surveiller, collègues, qui quelques temps plus tard se font tirer dessus : un blessé grave et un mort. Louise est mise en vacances d’office avec obligation de se soigner. Elle continue néanmoins son enquête.

 

Que voici un polar étonnant… et bien fichu. Exactement comme je les aime. Une filiation évidente et assumée avec Henning Mankell (deux citations dans le livre). Louise est en quelque sorte la petite sœur livresque de Kurt Wallander : elle est divorcée, s’entend mal avec ses parents, est plutôt une flique qui travaille seule, qui bosse la moindre piste mais se fie aussi à son instinct, à ses sentiments, elle est un brin dépressive (l’alcool ne l’aide pas vraiment). Filiation il y a mais Oliver Bottini sait créer une ambiance qui lui est propre. Pour nous Français, Louise pourrait être aussi le pendant dramatique de Viviane Lancier la fameuse commissaire de Georges Flipo (qui n’aime point les vers ou qui n’a point l’esprit club) : elle a quelques kilos en trop (à peine cinq, une broutille), apprécie les jeunes gens et peut souffrir de misanthropie.

Oliver Bottini ne lésine pas sur les seconds rôles, ils sont bien décrits, bien travaillés, tant ceux qu’on ne verra que le temps de cette enquête (qui meurent ou qui sont des protagonistes de l’histoire en cours) que les collègues de Louise, Bermann son chef impulsif, Lederle aux petits soins pour elle, Katrin Rein, la psychologue qui va tenter de la faire sortir de sa mauvaise passe et qui s’inquiète pour elle. Mais c’est Louise qui bénéficie du traitement le plus important, on n’ignore quasiment rien de ses tourments, de ses malheurs, de ses questionnements et de ses peurs. Elle vit avec des images des gens qui l’ont croisée ou qui la croisent encore, parfois on peut être surpris car un nom sort qu’on ne connaît pas (cf. Amélie, p. 88/89), ce n’est pas gênant pour la bonne compréhension, mais ça surprend ; je me dis que comme c’est une série, on apprendra des trucs dans les autres volumes, qu’on suivra Louise dans ses difficultés. Paradoxalement, on ne sait que très peu de son apparence physique, l’auteur distille de rares informations au fil des pages : brune, 4.5 kilos en trop, 42 ans, Anatol, son jeune amant lui dit « qu’elle possédait une étrange beauté, une beauté « pour ainsi dire souterraine ». Elle n’était pas d’une véritable beauté au premier coup d’œil, parce qu’elle n’était « pas vraiment mince » et tout, « et tes cheveux, tu ne t’en occupes pas vraiment, non ? » En revanche, plus on la regardait, plus elle devenait belle, d’une beauté tout simplement captivante ; sa mimique, son rire, son air béat, son regard et son corps possédaient une beauté qui leur était propre, quelque chose de chaleureux, de sauvage, de triste, de singulier, d’authentique, et après, on ne pouvait plus la quitter des yeux, plus arrêter de la caresser. » (p.375)

Pour être complet, ce roman policier n’est pas d’un rythme effréné, à tel point qu’arrivé à un bon quart (environ 100 pages puisqu’il en fait 402) on se demande vraiment ce qui se passe, on n’a fait que se balader en montage avec Louise et le moine, mais on remarque qu’on ne s’est pas du tout ennuyé, au contraire. Les investigations sont longues, lentes et Oliver Bottini digresse sur les relations policières franco-allemandes, sur la société actuelle, sur le trafic d’enfants (puisque c’est cette direction que semble prendre l’enquête), sur ce besoin d’enfants à tout prix qu’ont les Européens pensant sauver de la misère des enfants asiatiques ou africains en les adoptant, sur le bouddhisme et cette manière particulière d’aborder la vie et le sens qu’on lui donne. Un polar qui ne se contente donc pas d’aligner des indices et des coups de feu. Un polar ancré qui parle de la société, de ses débordements, ses aberrations, sa demande de consommation excessive et aussi des réponses possibles pour se recentrer et prendre du temps pour soi.

Un excellent début de série policière qui me rappelle les meilleures d’entre elles, et comme j’ai le deuxième tome chez moi, eh bien je suis plus que ravi. N’hésitez pas, commencez-la, en plus ce Meurtre sous le signe du zen est en collection poche.